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Danièle ORCIER ou la morale de l’herbe

Jean-Marie PAPAPIETRO, 1973

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Comme tout peintre authentique, Danièle ORCIER est poète, c’est à dire qu’elle fabrique, confectionne, apprête, à travers toutes sortes de matériaux : toile, papier, carton, cuir, fer ou bois, des « objets » qui, à leur manière, nous parlent de la terre où nous vivons. De la terre, je veux dire les éléments naturels, habités, écoutés, palpés, traversés, toujours débordants et recomposés. Terre de lumière et de grand vent, horizons étités, espaces écartelés, mais aussi travail souterrain, rumeurs profondes montées du feu secret où s’élaborent les lentes germinations. Certains de ses dessins nous enfoncent dans cette géologie passionnée à travers une débauche de traits glissés, hachés, croisés, couchés, hérissés, emportés finalement par une force irrésistible. Les strates s’accumulent, le regard se noie dans cette prolifération touffue et soudain, vous découvrez, à peine perceptible, une courbe un peu plus nette, une ligne un peu plus dégagée, un pli encore intact : c’est le signe de la semence cachée, du recueillement où se prépare la naissance prochaine. Dans les profondeurs de l’être. Quelque chose de fragile qui n’a pas encore de forme bien définie. Un balbutiement. Une candeur indicible.

S’il fallait chercher une métaphore naturelle pour évoquer cette profusion de vie qui circule dans les œuvres de Danièle ORCIER, c’est à l’herbe qu’il faudrait songer tout simplement. L’herbe inutile, toujours rebelle aux efforts de la raison humaine, l’herbe qui ne désire qu’une chose : rester herbe. De toutes les existences imaginaires que nous prêtons aux plantes, aux bêtes et aux étoiles, c’est peut-être la mauvaise herbe qui mène la vie la plus sage. Il est vrai que l’herbe ne produit ni fleurs, ni porte-avions, ni Sermons sur la Montagne. L’herbe ne crée que l’herbe et c’est elle qui, en fin de compte, a le dernier mot. Elle n’existe qu’entre les grands espaces non cultivés. Elle comble les vides. Elle pousse entre, et parmi les autres choses. La fleur est belle, le chou est utile, le pavot rend fou. Mai l’herbe est débordement : c’est un luxe qui n’a de valeur que si l’on se réfère à l’homme, et en cela, c’est une leçon de morale.

Jean-Marie PAPAPIETRO - 1973